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Les temples d'Angkor


« Autrefois, il fallait plusieurs jours d’éléphant et de pirogue pour rejoindre la capitale antique, se tailler une piste à la machette et prendre soin d’éviter les serpents ». Ainsi l’écrivain Pierre Loti, officier de marine et grand voyageur, narrait-il il y a plus d’un siècle le périple de Siem Reap vers la mystérieuse Angkor, enfouie dans la jungle à quelques lieues du lac Tonlé Sap. Cent ans plus tard, Angelina Jolie a eu moins de difficultés pour accéder aux temples sacrés, lieu de tournage du célèbre Tomb Raider. La scène est culte : body noir et sac à dos, dans la lumière diffuse du petit matin, la belle Lara Croft glisse entre les vestiges livrés aux racines des banyans. Ondulantes comme d’énormes serpents, les pâles tentacules se déploient et s’insinuent entre les pierres, les descellent, les soulèvent et les enlacent. Cet intime corps à corps, cette étreinte impérieuse entre les lois de la nature et l’œuvre des hommes, est l’une des images les plus symboliques d’Angkor, considérée comme la huitième merveille du monde. « Qui nous dira le nom de ce Michel-Ange de l’Orient qui a conçu une pareille œuvre ? », s’émerveillait dans ses écrits l’explorateur français Henri Mouhot, qui mit à jour le site archéologique, en 1861.


L’autocar quitte Siem Reap par la Nationale 6, puis tourne à droite et pique vers le nord. La route qui relie aujourd’hui la ville à l’ancienne « cité perdue » n’est aménagée et ouverte au public que depuis une vingtaine d’années. Le temps pour les casques bleus de l’ONU de déminer définitivement la zone, dernière poche de résistance sabotée par les Khmers Rouges à l’agonie. Le long du mince ruban d’asphalte défilent maintenant rizières inondées, pagodes colorées, buffles domestiques et écoliers en uniforme, juchés sur des bicyclettes trop grandes, sac à dos rose pour les filles et bleu pour les garçons. Bientôt la circulation se fait plus dense. Voici qu’à l’horizon, émergeant de leur linceul végétal, se dessinent les premiers contours d’Angkor, un site si riche et si vaste (près de 400 km2 : le plus grand de la planète) qu’il faut plusieurs jours pour en visiter au moins l’essentiel. « A son apogée, Angkor s’étendait même sur une superficie trois fois supérieure et comptait près d’un million d’habitants, ce qui en faisait la plus grande cité du monde médiéval », ajoute Ma Nyl, le guide du jour.


Ici, du IXe au XIVe siècles, chaque souverain khmer a successivement marqué son territoire en faisant ériger plusieurs monuments rivalisant d’envergure et de beauté. Pour vénérer leur Dieu (Angkor est une coexistence heureuse entre hindouisme et bouddhisme) et protéger le royaume de leur vivant, mais aussi pour préparer leur avenir dans l’au-delà, ce qui confère à l’endroit une puissante dimension métaphysique. À l’image du spectaculaire sanctuaire de Ta Phrom, prisonnier du lichen et des figuiers étrangleurs, qui abrite les effigies de centaines de créatures mythiques et de divinités, dont celle de Prajnaramita, personnification de la sagesse. Autre temple bouddhique, le Bayon, « sublime et magnétique Trianon de la forêt », fascine également par ses silencieuses sentinelles de pierre : 54 tours aux quatre visages, caressées par la lumière blonde du soleil. « Quiconque comprendra leur sourire énigmatique comprendra alors l’origine du monde », prétend une légende locale.


Quelques dizaines de mètres plus loin, derrière l’imposante Terrasse des Éléphants, théâtre des parades et cérémonies royales, se dresse Baphûon, dont le flanc ouest figure un colossal bouddha couché. Érigé sur une colline artificielle à la gloire de Shiva, cette impressionnante pyramide noire propulse vers le ciel ses escaliers abrupts. « Les marches sont très hautes pour que l’homme soit obligé de les monter courbé vers l’avant, comme pour se prosterner, puis les redescendre en marche arrière, afin de ne jamais tourner le dos à la divinité », explique Ma Nyl. Un respect des Dieux qu’un jeune aventurier nommé André Malraux, futur ministre de la Culture et grand romancier, bafoua un jour d’égarement en dérobant plusieurs sculptures à Bantey Srei, la « citadelle des femmes », ce qui faillit lui coûter la prison…


Mais le meilleur reste à venir. Le plus grand et le plus connu de tous les temples, celui dont le nom est souvent confondu avec la cité dans son ensemble. Angkor Vat. Vêtu de ses atours de latérite et de grès, c’est au lever du soleil, lorsque ses lignes pures se reflètent dans les bassins qui le cernent, que le joyau bâti au XIIe siècle sous le règne de Suryavarman II prend toute sa dimension. Angkor Vat (« la ville pagode »), apothéose de l’art khmer et emblème de la nation, fait la fierté du Cambodge et orne son drapeau. Orienté vers l’ouest, entouré d’une ceinture de douves symbolisant les océans, ce majestueux édifice dédié à Vishnu, le Dieu aux huit bras, constitue par sa disposition spatiale une parfaite représentation terrestre de l’univers. Au centre se dressent ses cinq tours en forme de bouton de lotus, dont la plus haute (55 mètres) symbolise le pic du mont Meru, résidence des dieux dans la cosmogonie hindouiste. Elles sont reliées par des galeries couvertes de fabuleux bas-reliefs, véritables BD antiques ciselées dans la pierre, qui racontent les fastes et la gloire d’Angkor, ses batailles, ses mythes et ses épopées, comme le Jugement de Yama, le Ciel et les Enfers ou le Barattage de la Mer de Lait.


Le jour se retire avec lenteur, tel un parfum, dans un crépuscule flamboyant. Sur le chemin du retour, encore éblouis par tant de splendeur, les derniers touristes se mêlent aux moines en robe de safran. C’est la fin du voyage. La nature, souveraine, reprend ses droits. Au-dessus de la cité millénaire, les grands arbres unissent leurs frondaisons, pour mieux la protéger des cris de la jungle. Et face aux dangers de la nuit, les yeux des statues ne se ferment jamais. Envoûtante, bruissant encore de mille secrets, Angkor s’enfonce dans le silence. Comme au temps des siècles d’oubli.


Écrit par Thierry Hubac